Aide À La Presse : Un Instrument De Chantage

Cheikh Niass, fils de Sidy Lamine Niass fondateur du groupe Wal Fadjri, Mamadou Ibra Kane, patron du groupe Africom et même Madiambal Diagne, patron de presse proche du président Macky Sall. Ils sont nombreux les propriétaires de médias à avoir dénoncé la façon dont l’aide à la presse a été distribuée. Le groupe Walf (5 supports) se dit discriminé avec 20 millions reçus en 2023 contre 70 millions en 2022.

Madiambal Diagne également, sur X (ex-Twitter) dit avoir reçu, pour le compte de son journal Le Quotidien, 8 millions cette année à la place des 15 millions de l’année dernière. Est-ce que tous les patrons ont reçu des montants inférieurs à ceux de 2022 ? Combien ont reçu les groupes Futur Média et D-Média ? Combien ont encaissé des journaux comme l’As ou Libération dont les patrons sont des responsables du parti présidentiel, l’Apr ? 

L’aide à la presse qui est officiellement de 700 millions a-t-elle connu une baisse cette année ? Pour l’instant, il n’y a aucune réponse de la part du ministère de la Communication dirigé par Me Moussa Bocar Thiam.

Et c’est cette opacité qui a toujours entouré l’aide à la  presse depuis 2000 au moins. Les patrons réclament chaque année un arrêté de répartition avec les organes et les montants. Mais aucun des ministres qui se sont succédé à la tête de ce département depuis la première alternance au Sénégal ne s’est exécuté.

En vérité, l’Etat n’a pas intérêt à faire preuve de transparence sur cette question. L’aide à la presse, qui devait être un outil de développement du secteur, s’est muée peu à peu à un instrument de chantage, à la fois du côté de l’Etat et des patrons de presse.

Quand un journal reçoit plus que le groupe Sud

Du côté du pouvoir, ceux qui se montrent dociles ou favorables sont bien servis, ceux qui sont critiques doivent se contenter des miettes. Aujourd’hui, Cheikh Niass se plaint de la part de Walf. Son père Sidy Lamine a fait autant de son vivant. D’ailleurs, en 2006, Sidy Lamine avait saisi le conseil d’Etat pour se plaindre de la répartition après avoir reçu une somme jugée modique.

En 2010, le Groupe Avenir communication de Madiambal Diagne avait renoncé à ses dix millions tout comme le groupe Sud  à qui le régime de Wade avait alloué 15 millions. Au même moment, Le Messager et Express News, estampillés journaux du palais, avaient reçu 15 millions chacun, relève Seneweb dans un article daté de l’époque. Bizarrement, le Témoin et Nouvel Horizon avait reçu chacun 16 millions, alors que chacun d’eux n’a qu’un support. 16 millions pour un journal contre 15 millions pour le Groupe Sud. Cherchez l’erreur ! Patron de la Gazette, très critique contre le pouvoir libéral, Abdou Latif Coulibaly lui a été tout bonnement zappé.

Bloquer l’aide en représailles

Ces deux exemples (2023 et 2010) montrent clairement comment le pouvoir utilise cette manne pour essayer de contrôler la presse.  « L’autre usage qui était fait de l’aide sous le président Abdoulaye Wade consistait à la bloquer, lorsque les rapports entre l’Etat et les médias privés devenaient très conflictuels, au point de faire apparaître cette aide non pas comme celle de l’Etat à la presse mais comme celle du président Wade à la presse », ajoute l’enseignant-chercheur Mor Faye dans son article sur le sujet publié en 2015.

Du côté de la presse, on tire sur l’État lorsque l’aide tarde à tomber ou quand on est mal servi.

Ainsi, cette approche instrumentaliste, surtout du côté du pouvoir, empêche d’avoir une vision stratégique sur cette aide. A la place d’un projet bien ficelé ou d’une cible bien choisie, l’argent est distribué à l’emporte pièce, au gré de la qualité des rapports avec le régime en place. De ce fait, elle n’a presque rien apporté au secteur des médias après plus de 25 ans.

« Aujourd’hui, au regard des résultats ci-dessous, cette aide se révèle être un véritable gouffre financier. L’aide de l’Etat à la presse au Sénégal n’a pas d’impact sur les entreprises de presse du point de vue de leur structuration pour en faire des entreprises viables au sens économique et financier du terme », constate Mor Faye en 2015. Un constat resté toujours valable.

Aucun impact sur le secteur

Selon lui, l’aide à la presse n’a sauvé aucune entreprise de la faillite, aucune amélioration structurelle, aucun matériel n’est acquis avec cet argent. Du côté des journalistes, il n’y a pas eu d’amélioration dans les conditions de vie et de travail.

Si les patrons de presse demandent à l’Etat de faire preuve  de transparence, eux-mêmes n’en font pas davantage. On ne les entend que lorsqu’ils sont mal servis, ils ne songent pas à communiquer le montant reçu. Ainsi, souligne Mor Faye, l’aide n’a pas permis d’avoir une meilleure gouvernance des entreprises de presse, alors que parmi les conditions d’éligibilité  figure la publication régulière du chiffre d’affaires, des identités des actionnaires.  

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